L'effet papillon en médecine : de l’ultrason à l'émancipation du patient
L'histoire de la médecine est pleine de hasards. Des découvertes accidentelles, souvent tirées d'autres domaines d'étude, qui, lorsqu'elles sont appliquées à la science médicale, font toute la différence.
Au début du XIXe siècle, René Laennec, médecin français, invente un curieux gadget qui prend la forme d'un petit tube de papier. Laennec se sentait gêné de devoir presser son oreille directement contre la poitrine d'une jeune patiente pour écouter les bruits de son cœur et de sa respiration. Il s'est donc inspiré d'un principe de base de l'acoustique : les ondes sonores qui se propagent dans un tube cylindrique sont amplifiées, comme dans le cas d'une trompette, mais dans l'autre sens. En plaçant un simple morceau de papier enroulé sur la poitrine de sa patiente, le Dr Laennec s’est rendu compte qu’il pouvait distinguer plus facilement les battements et râles, d'une manière beaucoup plus confortable et efficace pour lui comme pour elle.
Le tube de papier de Laennec est devenu un cylindre de bois, qui s'est ensuite transformé en un étrange dispositif ressemblant à une trompette, avant de prendre la forme emblématique que nous connaissons aujourd'hui. Le stéthoscope fut vite un succès. Rapidement adopté et modifié par les médecins de toute l'Europe pour répondre à leurs besoins, cet appareil de poche a donné naissance à l'un des piliers de l'examen physique au chevet du patient : l'auscultation.
Mais le son et la science du son étaient loin d'avoir fini d'influencer la science médicale. Dans les années 1940, le potentiel des ondes sonores pour créer des images optiques est devenu évident. Ce qui était auparavant invisible à l'œil nu pouvait désormais être mis en lumière, ce qui s'est avéré particulièrement utile pour les organes internes du corps.
L'énergie ultrasonique est rapidement devenue un élément essentiel de la médecine ; sûre, indolore, avec résultats en temps réel et moins coûteuse que d'autres techniques d'imagerie, le potentiel des ultrasons a été rapidement reconnu par une pléthore de fabricants qui ont compris à quel point ces appareils pouvaient être vitaux si seulement ils étaient disponibles partout où l'on en avait besoin.
Aujourd'hui, l’échographie clinique, ou écho-stéthoscopie, est un concept déjà connu de tous les médecins. Il désigne la technique de plus en plus répandue qui consiste à visualiser les organes internes d'un patient en temps réel, dans le prolongement naturel des quatre autres piliers de l'examen physique : l'inspection, la palpation, la percussion et l'auscultation.
L'ère du cinquième pilier, l'écho-stéthoscopie, est arrivée. En tant que prolongement naturel du stéthoscope, les sondes échographiques ultraportables sont déjà considérées comme un outil essentiel par de nombreuses autorités de santé, et leur popularité ne fera que croître au cours des prochaines années.
Un article récent du Lancet suggère que l’échographie clinique pourrait redresser jusqu'à la moitié des pré-diagnostics et améliorer radicalement le pronostic dans les situations critiques. Oui, l’échographie clinique peut sauver des vies. Imaginez si tous les médecins avaient dans leur poche un petit appareil leur permettant de voir ce qui se passe exactement à l'intérieur, à l'instant même ?
C'est loin d'être le seul potentiel de l’échographie clinique. Des études récentes indiquent que cette technique a également une influence significative sur l'expérience du patient. Le BMC Family Practice suggère que l’échographie clinique aiderait à réduire l'anxiété liée à la santé chez la grande majorité des patients : 92 % ont déclaré qu'ils avaient l'impression d'être examinés de manière plus approfondie lors qu’ils ont bénéficié d’une échographie ciblée. 58 % ont déclaré que l'échographie clinique leur donnait l'impression d'être pris plus au sérieux. Mieux encore, 82 % des patients ont affirmé que l'échographie clinique leur avait permis de mieux comprendre leur problème de santé.
Le domaine de la santé évolue : à l'ère de la technologie de pointe, et avec l'élévation globale du niveau d'éducation des populations, il est normal que les patients s'attendent à jouer un rôle plus actif dans leurs propres parcours de soin. Les applications de bien-être, les appareils de suivi de la condition physique et toute une série de wearables ont connu un formidable essor au cours de la dernière décennie. Il en va de même pour la hausse des recherches en ligne d'informations relatives à la santé et à des solutions de santé numériques. C'est une réalité que nous ne pouvons plus ignorer : les patients veulent faire partie du processus.
L’échographie clinique a également le potentiel d'améliorer l'efficacité du parcours de soins. Dans une configuration standard, même les symptômes les moins inquiétants peuvent conduire à la prescription d'une série de tests parfois irradiants et coûteux. Le patient doit alors prendre des congés pour se rendre dans différents établissements de soins, puis revenir pour présenter les résultats à son médecin traitant. Ceci n'est pas seulement chronophage, cela peut aussi être décourageant pour certains, qui finissent par abandonner complètement leur démarche diagnostique. En revanche, une échographie clinique peut être réalisée directement par le médecin traitant, dès la première consultation, au cabinet ou même au domicile du patient. En fonction des résultats, des examens supplémentaires peuvent être évités et le patient peut repartir avec une idée plus claire de son état et savoir s'il vaut ou non la peine de s'engager dans des explorations plus poussées. Un seul rendez-vous peut faire toute la différence et permettre à chacun d'économiser du temps, de l'argent et de l'énergie.
Pour en revenir à notre première affirmation, aucune avancée n'est possible sans son lot de hasard. Les sondes d’échographie clinique, en plus d'être d’excellents outils de prévention, de triage et de diagnostic, ont un autre potentiel caché : la collecte massive de précieuses données de santé qui peuvent être utilisées à des fins de recherche. En recueillant des données sur le lieu des soins dans des contextes extrêmement divers, l’échographie clinique a un potentiel de transformation qui promet de façonner l'avenir de la science médicale de plusieurs façons - de la détection précoce à la modification des diagnostics, en passant par des améliorations significatives dans la gestion de pathologies non détectées jusqu'alors. Sans filtre de couleur, de classe sociale ou de genre, les données cliniques peuvent également être un allié important dans la lutte contre la discrimination dans le secteur de la santé.
Et parce que les avancées engendrent d'autres avancées, pourquoi ne pas envisager un avenir où des technologies telles que l'Intelligence Artificielle combleraient le dernier fossé entre la collecte de données et l'autonomie totale du patient ? Souvenez-vous de Laennec et de son objectif de ne pas empiéter sur l'espace personnel de ses patients. Les données dont il avait besoin, sous forme sonore, ont voyagé dans un tube jusqu'à ce qu'elles atteignent son oreille, puis son jugement.
Ce type de processus de collecte et de jugement à distance existe déjà et s'est avéré très efficace dans le suivi de maladies telles que le diabète, l'hypertension et les troubles cardiaques. Les patients sont libres d'effectuer leur propre suivi à l'aide de glucomètres, de tensiomètres, de dispositifs portables ou d'appareils implantables… le tout depuis leur domicile. Les résultats et les données sont ensuite partagés avec l'équipe soignante, qui les examine et conseille le patient par télémédecine. Cela limite la nécessité pour le patient de se rendre dans les établissements de santé et améliore sa capacité à comprendre son état de santé. Il améliore aussi considérablement la vie des personnes vivant dans des zones reculées, où l’offre de soins est limitée.
Et pourquoi ne pas imaginer un scénario dans lequel une sonde d’échographie clinique pourrait être utilisée par le patient lui-même, guidé par une application avec une Intelligence Artificielle connectée à un appareil mobile ? Grâce aux récents progrès réalisés dans les technologies des transducteurs, les sondes d’échographie clinique deviennent de plus en plus abordables. Si l'on ajoute à cela les progrès fulgurants de l'Intelligence Artificielle, il est parfaitement plausible d'imaginer un avenir proche où les patients pourront acquérir leur propre kit de surveillance, collecter leurs propres données de santé à leur domicile et bénéficier des connaissances et de l'expérience d'un professionnel de la santé qu'ils pourront consulter à distance.
Un autre sujet de conversation émergent est celui des inégalités auxquelles sont confrontées les femmes et les groupes minoritaires dans le système de santé, avec pas moins de 35 % déclarant qu'ils ont l'impression que les symptômes qu'ils ressentent ne sont pas pris au sérieux par les soignants, et 40 % déclarant qu'ils doivent insister pour obtenir des soins adéquats, y compris des examens de suivi.
L’échographie clinique, avec son potentiel de fournir un aperçu rapide et précis de l'état de santé général d'un patient, ou d'identifier rapidement la cause première de symptômes aigus, associé à sa capacité démontrée à établir la confiance entre les patients et leurs médecins, est un excellent moyen d'aborder ce problème et de les aider à devenir plus autonomes.
L'utilisation des ultrasons en médecine n'était autrefois qu'une petite percée. Mais s'il y a une chose que nous savons à propos des petits battements d'ailes... c'est qu'ils laissent souvent place à des vents transformateurs.